La neige était sale
Elisa Fuksa-Anselme a entrepris un travail mémorial et cérémoniel en partant d’une incidence factuelle : la découverte de divers collections de photographies anciennes ainsi que de lettres de ceux qu’on appela les "poilus". On donna d'eux une image largement fausse en feignant de faire croire qu’ils partirent "la fleur au fusil". Mais l’iconographie de propagande est vieille comme le monde et le ministère de la guerre fait dès 1913 bien les choses.
Dans "Correspondances" l’artiste mixte non seulement photographies et interventions picturales. Elle y joint les lettres des soldats d’un front particulier. Celui qui se joua dans les montagnes. Les hommes y sont en suspens sur la neige où ils trempent avant de connaître d’autres crevasses. Les photographies laissent croire dans leur mise en scène à des interludes d’invulnérabilité contredits par les interventions impertinentes d'Elisa Fuksa-Anselme.
L’artiste sait créer une concordance contrariée des mots et des photographies en introduisant un enfer noir dans une feinte de paradis blanc où les soldats se déploient parallèlement à leur fatigue. L’altitude semble les narguer même s’ils ne le montrent pas et où la neige devient le premier acte du théâtre de leur crucifixion. L’artiste par son émersion plastique ne cherche pas à mettre des pansements sur le carnage en marche forcée. Ce qui semble un caviardage ne cache rien. Certes l’hémorragie ne rougit pas la neige. Et certaines lettres se veulent des discours sorciers où les êtres font croire que la guerre n’est pas une histoire de cadavres.
Ceux que les états-majors réduiront en bêtes se font anges, anges exterminateurs mais anges tout de même. On les représente comme tels, ils ont fière allure. Mais Elisa Fuksa-Anselme jette le trouble et son acide sur le miel de la propagande officielle. Les soldats et leurs messages comme éjectés du cadre, sont réduits à des portions déjà congrues, déjà proche de l’horizontalité. L’implication picturale produit l’approche des suffocations des héros. Ils sont réduits à une colonie pénitentiaire au sein des simulacres qu’ils doivent jouer pour éloigner l’angle plat du réel en une mythologie guerrière. Et ce afin d’exalter le patriotisme, rassurer leur proche et peut-être se rassurer eux-mêmes. C’est tout ce système que l’artiste réduit en ses poches de noir : sous la neige trouée les déchets de la chair exsudée sont déjà latents.
Jean-Paul Gavard-Perret
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