Les photographies d'enfants sont insupportables, qui, chez l'adulte, ne cessent de produire ce regard satisfait sur soi-même parce qu'à son insu lié à sa propre enfance. Le discours qui le soutient renvoie à un âge d'or imaginaire, peuplé de tous les affects régressifs.
C'est dire le risque qu'a pris Elisa Fuksa-Anselme en choisissant de travailler sur sa trouvaille d'une collection ancienne, et de réunir les photographies d'enfants en un recueil qui fonde la matière de cette exposition. Des clichés sans légende qui regardent un présent qui n'est pas le leur, recevables comme les signes iconiques issus d'un passé lointain. Pour mieux dire, un visuel qui parle d'une histoire d'enfance à laquelle chacun peut s'identifier.
Toutefois, si l'origine est repérable, chaque scène reste énigmatique : l'absence d'un sens convenu appellerait de l'inclure dans un récit imaginaire. S'élevant contre cette démarche ordinaire, relevant d'une appropriation identificatoire, l'acte de l'artiste donne un tour inattendu à sa lecture qui lui permet d'élever le signe iconique à la dignité de l'image. Par quelle opération ?
En se situant, dans son intervention, comme autre du photographe, non pour imposer la lecture qui prétendrait livrer le sens dernier de son intention, mais en effaçant le pathos d'origine pour libérer une écriture nouvelle qui emprunte au texte sous-jacent. Comme si la création procédait, sur fond d'un palimpseste visuel, par des effets de textes, de signes et de traces de couleurs, pour donner à voir ce que, naguère, Serge Leclaire nommait la mémoire de l'oubli. Par son écriture sensible, l'œuvre d'Elisa Fuksa-Anselme exalte la présence d'une mémoire forte rendue hors du temps.

Dominique Lecoq, Psychanalyste, Universitaire.